[Ce texte reprend des extraits du livre Agir pour un Monde Durable, paru en juin 2022 aux éditions Jouvence. Il a été rédigé par Pascale Fressoz, présidente de AIODD, et Corentin Biteau, vice-président France]

« On reconnaît le degré de civilisation d’un peuple à la manière dont il traite ses animaux » – Gandhi

 

Tout le monde, ou presque, est conscient de l’importance d’agir pour l’environnement. En revanche, nous avons intérêt à répondre à la question du « comment » : où diriger nos efforts pour améliorer la situation?

N’ayant pas la place pour détailler tout ce qui influe sur les ODD de l’environnement, nous avons cherché une des actions qui, à elle seule, pourrait avoir le plus d’impact.[1] Elle revient dans des milliers de rapports scientifiques. Plus de 200 experts ont récemment signé une lettre pour que cette mesure soit incluse dans les plans des états pour le développement durable et les ODDs.

Comme le formule le Forum Economique Mondial, « il y a un moyen de faire une énorme différence pour la durabilité et d’améliorer nos chances de vivre des vies plus longues, plus saines : développer notre façon de manger pour y inclure des sources alternatives de protéines. Fondamentalement, manger moins de viande. »[2] Cela ne veut pas forcément dire ne plus manger de viande du tout, même si c’est mieux, mais réduire considérablement. Beaucoup ont déjà franchi le pas, avec joie !

Pourquoi ? Comme l’élevage utilise la majorité des terres agricoles et que l’agriculture utilise la moitié des terres de la planète, il s’agit de notre principale façon d’interagir avec la nature. En effet, cela aurait un impact sur les sujets suivants… en premier lieu l’ODD 2.

ODD 2 : Faim dans le monde

Pour produire 1kg de porc ou de poulet, il faut 6kg de protéines végétales[3]. A partir de là, tous les effets nocifs que l’on peut attribuer à la culture des plantes sont également imputables à l’élevage, comme la surutilisation des pesticides, les monocultures, la consommation d’eau… et entrent en concurrence directe avec l’alimentation humaine. C’est ce qui s’est passé en 1985, lorsqu’une famine fit rage en Ethiopie : le pays continua pourtant à exporter des céréales pour nourrir le bétail anglais, malgré le fait qu’un million de personnes mouraient de faim[4]. Il était plus rentable de vendre aux pays riches qui achetaient plus cher.

Source: Mottet et al 2017, infographie Apala

Attention, il ne s’agit pas ici de remettre en cause l’élevage quand il permet de valoriser des terrains non cultivables, c’est le mode approprié pour les zones adaptées aux prairies et aux pâtures naturelles. De plus, ce sont surtout des petits éleveurs qui veulent nourrir leur famille – on est très loin d’un modèle intensif. L’IPBES estime d’ailleurs que près de 30% des exploitations mettent en œuvre des pratiques durables. Hélas, elles ne représentent que 9 % des terres agricoles.

Notre image du secteur est pourtant basée là-dessus : les seuls animaux que nous voyons sur les publicités sont généralement des vaches qui se nourrissent tranquillement d’herbe dans les campagnes. Malheureusement, elles sont très minoritaires parmi les 60 milliards d’animaux qui finissent dans les abattoirs chaque année. En France, 83% des poulets de chair et 95 % des cochons viennent d’élevages intensifs. Si tous les animaux étaient dans les conditions des vaches qui pâturent, il y aurait moins de problèmes. Mais ce mode de vie ne s’étend pas du tout aux poules et aux cochons enfermées dans des cages surchargées, où ils ne verront jamais la lumière du jour. Environ 20% des cochons meurent avant l’abattoir tant les conditions d’élevage sont critiques. Pourtant, le jour du débat à l’Assemblée Nationale sur la condition animale, le gouvernement a retiré les amendements qui visaient à stopper l’élevage intensif[5].

Conditions de vie des cochons dans un élevage intensif. Source: L214

 

Si la France produisait elle-même le soja qu’elle importe du Brésil, il lui faudrait une quantité de champs équivalente à 3 départements[6]. Inévitablement, le secteur a subi une intensification qui a des conséquences terribles sur les animaux et humains. Du côté des poules pondeuses, un tri est effectué à la naissance pour envoyer les poussins mâles à la broyeuse. Il est rare de trouver autre chose que de l’intensif dans la plupart des cantines ou restaurants.

Cette situation ne profite pas non plus aux agriculteurs. Ils sont nombreux à souhaiter le bien de leurs bêtes et n’ont pas eu le choix dans cette façon de faire : en France, deux d’entre eux se suicident chaque jour, principalement les éleveurs. Ceux qui ont choisi la qualité s’en sortent mieux, notamment par le bio, ce qui nous amène à nouveau à la même réalité : s’en tenir aux capacités de production des pâturages naturels, choisir attentivement la provenance, et s’il y a un doute sur la provenance s’abstenir…

ODD 15 : Vie Terrestre

Un rapport de l’IDDRI[7] l’énonce clairement : « l’effondrement de la biodiversité terrestre est en premier lieu dû aux changements d’utilisation des sols occasionnés par l’agriculture, en lien, notamment, avec l’augmentation de la consommation de produits animaux. Pour les océans, c’est la pression de la pêche qui est la cause principale de déclin. »

Sur les 28 000 espèces sur liste rouge dans le monde (animales et végétales), l’agriculture et l’aquaculture sont une menace pour 24 000 d’entre elles. Une équipe de scientifiques[8] est ainsi arrivée à la conclusion que la consommation de viande est la plus importante menace pour la faune et la flore sur notre planète !

ODD 14 : Vie aquatique

Pour les poissons, plus de 1000 milliards d’entre eux sont tués chaque année. C’est plus de 100 fois le nombre de personnes vivant aujourd’hui. Pouvez-vous vous représenter cela ? La prise en compte de leur souffrance est pourtant très faible, notamment à cause de la difficulté à ressentir de l’empathie pour eux. Il y a pourtant consensus scientifique sur le fait qu’ils souffrent. Quand ils sont pêchés, il est estimé que leur agonie dure en moyenne 27 minutes, en asphyxiant lentement sur le pont du bateau…

L’aquaculture n’est certainement pas une solution dans son état actuel : 20% des prises mondiales de poissons sauvages servent à… nourrir les poissons d’élevage. Il faut entre 2,5 et 5 kg de poissons sauvages pour produire 1 kg de poisson d’élevage[9] ! Ces derniers vivent dans des bassins tellement surchargés que les poissons ont du mal à respirer et à nager librement.

ODD 13 : Lutte contre le réchauffement climatique

L’élevage est responsable de 14,5% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde (et plus encore si l’on intègre les opportunités de stockage du carbone, que nous verrons plus loin). C’est plus que toutes les voitures, camions et avions réunis.

Une analyse faite par Our World in Data[10] fait ressortir que les aliments carnés émettent 10 à 50 fois plus que la plupart des produits d’origine végétale (blé, pois, maïs, soja français, pommes).

Ces statistiques ne couvrent évidemment pas tous les cas de figure. Dans certaines formes d’agroécologie, l’élevage a un impact positif sur les écosystèmes. Mais c’est un élevage redimensionné, qui fait déjà partie de la solution.

ODD 6 : Accès à l’eau

L’agriculture est le premier facteur de consommation d’eau. Mais toujours à cause du fait que l’élevage monopolise une large partie des récoltes, on estime qu’un régime végétarien consomme 5 à 10 fois moins d’eau qu’un régime riche en protéines animales. Ajoutons à cela que l’élevage (y compris la pisciculture) est la plus grande source de pollution de l’eau dans le monde : nitrates, déchets animaux, antibiotiques, eutrophisation à l’origine de la prolifération des algues vertes…

En conséquence, le Stockholm International Water Institute estime que si ces tendances continuent, l’eau manquera pour produire assez de nourriture pour toute la population en 2050. Sauf si nous remplissons la condition suivante : « Il y aura juste assez d’eau [pour tout le monde] si la proportion d’aliments d’origine animale est limitée à 5% des calories totales »[11]. Actuellement, la proportion est de 18%.

ODD 12 : Production et Consommation responsable

Passons au problème le plus stupide : le gaspillage alimentaire. Entre un quart et un tiers des aliments sont tout simplement gaspillés[12]. Dans les pays pauvres, c’est le cas surtout pour des déficits logistiques (sur les transports, la chaîne du froid, le stockage…). Mais dans les pays riches, les distributeurs rejettent les produits dits « moches » ou mal calibrés et les consommateurs jettent à la poubelle une large partie de la nourriture achetée. Si le gaspillage alimentaire était un pays, il serait le troisième émetteur mondial de GES, derrière les USA et la Chine… Précisons tout de même que certains pays mettent en place des lois anti-gaspillage[13] et que des organismes comme l’ADEME font un travail remarquable pour aider les acteurs à travailler de la récolte à la distribution.

ODD 3 : Santé

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estime qu’un régime végétarien est « non seulement plus sain mais il est aussi plus favorable à l’environnement et au développement durable »[14]. Tant que l’apport en vitamine B12 est suffisant, les végétariens ont même une espérance de vie plus longue. Ceci devrait rassurer ceux qui s’inquiètent de manquer de protéines : dans la plupart des pays riches, on en consomme en excès !

L’OMS estime aussi que la viande transformée est carcinogène (peut provoquer un cancer)[15]. Plus impressionnant encore, une étude de l’Université d’Oxford de 2016 estime que passer à un régime végétarien ferait baisser la mortalité mondiale et permettrait d’éviter 7,3 millions de morts d’ici 2050 ! Cela serait dû à la baisse de la consommation de viande rouge, mais également à un apport plus important en fruits, légumes et fibres[16]. Une telle baisse de la mortalité représenterait même un gain de 700 à 1000 milliards de dollars annuels. On éviterait en effet beaucoup de coûts de santé et de jours de travail perdus. Mieux encore, les émissions de gaz à effet de serre en moins éviteraient des dommages climatiques pour un ordre de grandeur de 570 milliards de dollars !

Certains font également le lien avec la paix et les inégalités (ODD 10 et 16). D’après l’écrivain Milan Kundera, « le véritable test moral de l’humanité, ce sont ses relations avec ceux qui sont à sa merci : les animaux. Et c’est ici que s’est produite la faillite fondamentale de l’homme, si fondamentale que toutes les autres en découlent ».

Si on considère qu’un autre être sensible ne vaut rien et est à notre disposition pour la simple raison qu’il n’est pas comme nous, on ouvre la porte à toutes les autres formes d’inégalités[17]. Quel rapport à l’autre instaure-t-on quand on est prêt à entasser des milliers de poulets dans un hangar sans lumière du jour, sans air frais, si serrés qu’ils ne peuvent même plus étendre leurs ailes, grossissant si vite qu’ils ne peuvent même plus marcher ?

A l’inverse, d’après Plutarque, « la douceur envers les bêtes accoutume à la bienveillance envers les hommes. Car celui qui est doux, qui se conduit avec tendresse envers les créatures non humaines, ne saurait traiter les hommes de manière injuste ».

Agir sur ce sujet apporterait beaucoup à l’humanité

Voilà probablement le plus intéressant dans ce changement d’alimentation : cela bénéficierait grandement à l’humanité. Globalement, sans la consommation de viande et de produits animaux, l’usage des terres agricoles pourrait diminuer de 75% et quand même nourrir l’humanité[18]. On parle d’une surface équivalente à l’Union Européenne, la Chine, l’Australie et les États-Unis réunis.

Et cela, étonnamment, est l’une des meilleures nouvelles qu’il nous ait été donné de trouver dans la lutte contre le réchauffement climatique. Restaurer ces terres, par exemple sous la forme de forêts ou de prairies, créerait une quantité fantastique de puits de carbone. Une étude publiée dans Nature[19] estime ainsi que passer à une alimentation sans produits animaux permettrait de séquestrer une quantité de carbone située entre 332 et 547 Gigatonnes d’équivalent CO2. Combien cela représente-t-il ?  Entre 99% et 163% du budget CO2 qui nous est alloué par l’Accord de Paris pour rester en dessous des 1,5°C ! Cela pourrait pratiquement doubler la marge qui nous reste le temps de réduire les autres sources d’émissions.

Bien entendu, il n’est certainement pas réaliste de s’attendre à ce que tout le monde adopte un régime végétalien. Mais même sans aller jusque-là, réduire notre consommation de produits animaux de 70% (et de 90% dans les pays riches) permet déjà de libérer assez de terres pour stocker l’équivalent de tout le carbone que l’humanité a émis ces 13 dernières années.

Bien sûr, n’oublions pas que certaines populations dépendent réellement de l’élevage pour vivre. Mais limiter sa consommation aux produits d’un élevage extensif, c’est manger de la viande une fois par semaine, voire par mois, et permet de mieux choisir d’où elle vient. Pour cette raison, les cantines qui ont le plus de menus végétariens sont également celles qui proposent le plus de viande bio et locale[20].

Difficile de passer à côté de ce potentiel. « Remplacer les produits d’origine animale par des aliments alternatifs semble être le seul moyen pragmatique pour renverser le dérèglement climatique avant qu’il ne soit trop tard », d’après l’écrivain Jonathan Safran Foer.

De plus, on pourrait réallouer une large partie des 700 milliards de dollars de subventions mondiale allouées annuellement dans le monde à l’élevage, permettant artificiellement à ce secteur d’avoir des prix compétitifs. Rediriger ces fonds pour financer des services bénéficiant à tous, comme l’agroécologie, serait une belle opportunité. Au Costa Rica, l’élimination des subventions pour le bétail a ainsi permis un retour des forêts [21].

En France, 140 députés et 900 000 citoyens soutiennent la mise en place d’un référendum pour les animaux, qui vise notamment à faire cesser l’élevage en cages, une mesure soutenue par 88% des Français[22]… Le passage aux protéines végétales représente donc une des meilleures opportunités pour faire avancer non seulement les ODD 2, 3, 6, 8, 12, 13, 14 et 15, mais aussi tous les autres via la prévention des pandémies et des dommages environnementaux. Ne manquons pas cette belle opportunité !

Pour aller plus loin sur les actions que l’on peut réaliser, vous pouvez consulter l’article suivant: Comment agir pour un monde durable à notre niveau?

 

Vous pouvez également en savoir plus dans le livre complet, Agir pour un Monde Durable.

 

[1] Ce titre fait référence à l’article du Guardian sur ce sujet : https://www.theguardian.com/environment/2018/may/31/avoiding-meat-and-dairy-is-single-biggest-way-to-reduce-your-impact-on-earth

[2]https://www.weforum.org/agenda/2019/06/our-taste-for-meat-is-endangering-our-planet

[3] Mottet et al. 2017, Livestock: On our plates or eating at our table ?

[4] https://fr.wikipedia.org/wiki/V%C3%A9g%C3%A9tarisme#cite_ref-289

[5] https://www.l214.com/enquetes/2020/elevage-cochons-barrais-bussolles/

[6]https://cdn.greenpeace.fr/site/uploads/2019/06/hooked_on_meat_FR_web.pdf

[7]https://www.iddri.org/sites/default/files/PDF/Publications/Catalogue%20Iddri/D%C3%A9cryptage/201905-IB0619FR-IPBES.pdf

[8] https://www.sciencemag.org/news/2015/08/meat-eaters-may-speed-worldwide-species-extinction-study-warns

[9] D’après l’ONG CIWF.

[10] https://ourworldindata.org/environmental-impacts-of-food

[11] https://www.theguardian.com/global-development/2012/aug/26/food-shortages-world-vegetarianism

[12] Projet Drawdown, Paul Hawken. Section « Réduction du gaspillage alimentaire ».

[13] Ecologie.gouv.fr, loi anti-gaspillage pour une économie circulaire, 2020.

[14]https://www.who.int/dietphysicalactivity/publications/trs916/summary/fr

[15]http://viandesetproduitscarnes.com/phocadownload/vpc_vol_34/3435_de_smet_viande_cancer.pdf

[16] Analysis and valuation of the health and climate change cobenefits of dietary change, Springmann et al. 2016, PNAS. Résumé ici : https://www.oxfordmartin.ox.ac.uk/news/201603-plant-based-diets/

[17] https://www.socialter.fr/article/pas-de-paix-sociale-sans-liberation-animale

[18] https://www.theguardian.com/environment/2018/may/31/avoiding-meat-and-dairy-is-single-biggest-way-to-reduce-your-impact-on-earth

[19] Pour être exact, cela nous donnerait 66% de chances de rester en-dessous de 1,5°C, voir : https://www.nature.com/articles/s41893-020-00603-4

[20] https://cdn.greenpeace.fr/site/uploads/2021/02/Vrai-Faux-option-v%C3%A9g%C3%A9tarienne-quotidienne.pdf

[21] https://www.theguardian.com/environment/2019/sep/16/1m-a-minute-the-farming-subsidies-destroying-the-world

[22] https://www.referendumpourlesanimaux.fr/

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