On est aujourd’hui tous conscients des problèmes dans le monde: sécheresses, pauvreté, faim, climat… Mais si on est tous d’accord sur le constat, rares sont ceux qui s’intéressent à la question suivante: pourquoi a-t-on du mal à agir sur ces sujets ? Comment s’y mettre ? Et quelles actions mener ?

[Ce texte a été réalisé pour un article paru dans la revue Open Mind de Décembre 2022. Il tire ses conclusions du livre Agir pour un Monde Durable, paru en juin 2022 aux éditions Jouvence]

Par Pascale Fressoz et Corentin Biteau

On a tous envie que le monde soit un endroit meilleur, avec moins de problèmes et de pollution. Dans ce but, beaucoup d’entre nous voudraient agir pour les autres et pour l’environnement. Seulement, force est de constater qu’il est difficile de s’y mettre. Pourquoi ?

Déjà, il est difficile de s’y retrouver. Prenons le climat par exemple. Certaines actions nous sont proposées mais ce ne sont pas toujours les plus efficaces. Par exemple, recycler est utile mais a un impact très limité face à d’autres actions (en comparaison, réduire, réutiliser et réparer permettent d’éviter le déchet en premier lieu). Quelles actions ont plus d’impact dans ce cas?

Voici les actions individuelles les plus efficaces pour réduire son empreinte carbone sur une année d’après le cabinet Carbone 4 :

  1. Adopter un régime végétarien (-1,12 t CO2/an)
  2. Faire du vélo sur les trajets courts (-0,32 t CO2/an)
  3. Covoiturage sur tous les trajets (-0,27 t CO2/an)
  4. Ne plus prendre l’avion (-0,27 t CO2/an)
  5. Acheter moins de vêtements neufs (-0,22 t CO2/an)
Actions individuelles les plus efficaces pour le climat d’après le cabinet Carbone 4

Voir aussi: Les éco-gestes les plus connus sont-ils vraiment efficaces?

Dur, dur de s’y mettre

L’autre difficulté est que même si on sait, ça ne veut pas dire qu’on va le faire. On a beau savoir que l’avion pollue et que la viande est la première cause de déforestation, pas facile de résister quand on nous met ces options devant le nez. Mais pourquoi ?

Un élément fondamental des problèmes actuels est la motivation. Pourquoi, dans notre vie quotidienne, agissons-nous dans une direction qui est actuellement insoutenable ? Décrire tous les aboutissants prendrait trop de temps (système économique court-termiste, vision de la nature comme un simple puits à ressources…), mais au niveau individuel, un élément crucial est la psychologie. Le neurologue Sébastien Bohler décrit ainsi dans son ouvrage Le Bug Humain que les satisfactions de court-terme sont si attrayantes pour notre cerveau (nourriture, richesse, divertissement, statut social…) qu’on a du mal à se limiter pour préserver le futur. C’est pour ça qu’on a du mal à décrocher des réseaux sociaux ou du pot de Nutella, entre autres : ils fournissent un flux continu de calories et d’informations qui sont terriblement attirants.

Le cerveau, cet éternel insatisfait

Le problème, c’est que dès qu’on a ces récompenses matérielles (mettons, une promotion ou une nouvelle voiture de sport), eh bien on est content quelques semaines… puis notre cerveau s’habitue et revient à son niveau de bonheur initial. Donc, par la suite, il lui en faut encore plus pour être satisfait – ce qui ne dure jamais longtemps. Yuval Noah Harari, auteur de Sapiens, le décrit en ces termes:

« Si nous racontions à notre arrière-arrière-grand-mère notre façon de vivre, avec des vaccins et des anesthésiques et l’eau courante et des frigos pleins, elle aurait probablement bondi d’enthousiasme et dit : ‘Vous vivez au paradis ! Vous devez vous lever chaque matin le cœur léger, et passer une journée radieuse, pleins de gratitude et d’amour pour tous.’ Eh bien, ce n’est pas le cas. Comparé à ce que la plupart des gens ayant vécu avant nous pouvaient rêver, nous pourrions bien être au paradis. Mais, pour une quelconque raison, nous n’avons pas l’impression que c’est le cas.

Une explication a été donnée par des sociologues, qui ont redécouvert récemment une ancienne vérité: notre bonheur dépend moins de nos conditions de vie objectives et plus de nos propres attentes. Ces attentes, toutefois, tendent à s’adapter aux conditions de vie. Quand les choses s’améliorent, les attentes augmentent, ce qui fait que même des améliorations drastiques de nos conditions de vie peuvent nous laisser aussi insatisfaits qu’avant »[1].

Voir aussi: Pourquoi notre cerveau est-il si apathique face à la destruction de la planète?

Rappelez-vous vos 3 derniers achats: étiez-vous plus malheureux dans votre vie avant de les faire? Compter sur le niveau de vie matériel, au-delà d’un certain stade, ne permet pas d’être heureux – surtout si tout le monde le fait et qu’on se sent obligé de faire de même pour ne pas être mis de côté. C’est pour ça que le niveau de bien-être perçu moyen a stagné dans les pays occidentaux depuis 1970 – alors que l’empreinte écologique, elle, a explosé.

En rouge: Quantité d’argent que nous avons. En noir: Quantité d’argent dont nous disons avoir besoin.

Bref, non seulement avoir toujours plus n’est pas soutenable, mais ça ne nous rend même pas si heureux que ça. Il va donc s’agir de vouloir moins. Se satisfaire de ce que l’on a déjà. En effet, des sociétés entières ont su s’accommoder de ce qu’elles avaient, malgré les difficultés. Le problème n’est d’ailleurs pas nouveau: c’est au cœur de toutes les spiritualités. Socrate, déjà, disait « Le secret du bonheur, voyez-vous, n’est pas trouvé dans la recherche du plus, mais en développant la capacité à jouir de moins ». Facile à dire, mais comment faire ?

Changer son rapport à soi

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Mettons que vous vous trouviez face à un paysage magnifique. Il y a de fortes chances que vous vous disiez « c’est beau ». Puis, que 5 minutes après, votre esprit parte dans tous les sens : « qu’est-ce que je mange ce soir ? », « Il y a machin qui m’a dit ça », « oh non c’est bientôt la fin du week-end », bref l’esprit est partout sauf dans l’instant présent. Pour résoudre ça, il faut pouvoir développer sa capacité d’attention. Etre mieux capable d’observer ce qui se passe, de faire attention aux détails, sans juger. Il ne s’agit pas juste de dire « il faut faire ça ». Pour que le cerveau puisse apprendre et s’entrainer, il lui faut une méthode pratique.

Cette citation de Matthieu Ricard, interprète français du Dalai-Lama, résume bien la situation: « Nous déployons beaucoup d’efforts pour améliorer les conditions extérieures de notre existence, mais en fin de compte c’est toujours notre esprit qui fait l’expérience du monde et la traduit sous forme de bien-être ou de souffrance. Si nous transformons notre façon de percevoir les choses, nous transformons notre qualité de notre vie. Et ce changement résulte d’un entraînement de l’esprit que l’on appelle ‘méditation’ ». Son livre, l’Art de la Méditation, donne des méthodes pour s’y mettre.

Surtout, cela permet d’observer comment fonctionne son esprit : en effet, il est tout le temps en train de générer des pensées, des croyances, des jugements, de l’anxiété, bref plein de choses. La méditation, au fond, c’est être capable d’observer tout ça, d’accepter que tout ça émerge naturellement dans notre tête, et de laisser couler les pensées qui ne nous apportent rien. On a tendance à ressasser le passé ou être anxieux face à l’avenir, mais l’intérêt est limité si on ne peut agir que sur le présent. Elle permet également de prendre du recul sur tout ce qui en temps normal nous apporte de la colère, de l’angoisse et de l’insatisfaction. Bref, cela permet de mieux comprendre tout ce qui se passe dans notre tête, et d’apprendre à y distinguer ce qui nous apporte véritablement quelque chose.

Pour un exemple pratique, voir l‘article suivant.

D’autres pistes pour plus de bien-être

Le World Happiness report, de son, côté, a étudié les activités qui, en général, étaient associées à un bien-être plus élevé, et leur top 4 est le suivant :

  • Dormir suffisamment
  • Faire du sport
  • Avoir des discussions en face à face avec les autres (pas à distance)
  • Faire des activités spirituelles, ou du bénévolat
Liste des actions les plus corrélées avec un plus fort bien-être chez les adolescents d’après le World Happiness Report. En violet, les actions associées à plus de bien-être, en jeune, les actions associées à plus de mal-être. Notez que les actions associées aux écrans ont un impact négatif, car elles concurrencent le sommeil, le sport et les activités sociales en personne

Les deux dernières sont rarement évoquées. S’intéresser à la spiritualité peut beaucoup apporter à des questions telles que « comment améliorer son esprit ? » ou « quel sens donner à sa vie ? ». Mais il est souvent difficile de s’y retrouver. Sur ce sujet, on peut conseiller l’application de méditation « Waking Up » (en anglais), ou, en français, « L’art de Vivre », de William Hart.

Voir aussi: Et si agir pour la planète était compatible avec notre propre bonheur?

Changer son rapport aux autres

Le bénévolat, quant à lui, est également très important. Comme le formule Matthieu Ricard, « Plus nous aidons autrui, plus cela nous rend heureux; mais aussi plus nous sommes heureux, plus nous aurons tendance à aider autrui« . Faire du bénévolat en donnant de son temps peut être très satisfaisant. Il est possible de changer l’orientation de sa carrière pour aller vers ce qui contribue à la société. Une autre option, si l’on a la capacité financière: si dépenser pour nous nous rend moins heureux qu’en donnant aux autres, autant donner directement aux autres, non ?

Après, comment trouver les meilleurs moyens d’aider les autres ? Par exemple, comment trouver des associations qui ont véritablement un impact et que l’on peut rejoindre ? C’est un sujet très compliqué, sans réponse facile, mais l’un des co-auteurs du livre et vice-président France en charge des publications, Corentin Biteau, a mené des recherches pour identifier des associations françaises à fort potentiel d’impact, capables d’aider un grand nombre de personnes. Il a mené ce travail au sein de Altruisme Efficace France, et rédigé un guide à ce sujet, disponible ici : https://www.altruismeefficacefrance.org/donner-efficacement.

Ce guide traite de nombreux sujets, dont la lutte contre les maladies à l’échelle mondiale et la protection de l’environnement.

Impact carbone des gestes individuels les plus efficaces comparés à l’impact d’un don de 1000 $ aux associations recommandées par Founder’s Pledge (en tonnes d’équivalent CO2). Un Français émet ~11 tonnes par an (attention c’est une moyenne).

Par exemple, sur le sujet de l’environnement, les dons à des associations visant à modifier les normes et lois peuvent avoir un impact démesuré par rapport aux actions individuelles. Attention, pas toutes les associations: seulement les plus efficaces d’entres elles. Pour en savoir plus, et avoir des exemples de telles associations, vous pouvez consulter l’article suivant.

Des Objectifs pour la durabilité

Ensuite, sur quelles causes rediriger nos efforts ? Il y a beaucoup de pistes très différentes, et il est difficile de savoir où commencer. Les Objectifs de Développement Durable, de l’ONU, peuvent fournir une piste de départ. Ils ont été signés par les Etats en 2015 avec pour but d’être accomplis en 2030, et fournissent la liste des buts vers lesquels aller: lutter contre la pauvreté et faim dans le monde, pour l’accès à l’eau, pour l’éducation et l’égalité des femmes, pour le climat… L’avantage est qu’ils permettent d’avoir une vision d’ensemble : car si on agit sur un problème mais qu’on en cause un autre ailleurs, on n’ira pas très loin. Ces Objectifs sont donc un cadre intéressant dans ce sens. Interpeller les décideurs pour qu’ils les mettent en place, en leur proposant des projets compatibles avec ces Objectifs, est aussi une option.

Vers l’action collective

Bien sûr, l’action individuelle ne résoudra pas tous les problèmes du monde, loin de là. Mais il peut être intéressant de la voir comme un marchepied vers l’action collective. Après tout, comme le disait Paulo Coelho, « C’est votre exemple qui change le monde, pas vos opinions ». Inspirer les autres, et agir avec eux, leur montrer qu’il est possible de faire autrement en ayant quand même la banane, qu’il est possible de changer. Pour cela, un jeu collaboratif a été créé: Ma Petite Planète. Il vise à faire des actions pour l’environnement, et chaque action fait avancer son équipe. Cela fournit un cadre dans lequel les actions des autres nous inspirent, et nos propres actions permettent de montrer aux autres qu’on peut s’y mettre.

On peut engager des actions en tant que citoyen, avec toute une gamme de possibilités: lancer des projets locaux, amener des réflexions citoyennes plus larges, rendre son territoire autonome pour les besoins de base comme la nourriture, ou faire des actions qui permettent de régénérer le vivant. Arthur Keller parle de ces actions collectives dans sa conférence « Les défis de notre temps ».

Voir aussi: Faut-il faire des actions individuelles… ou des actions collectives?

On peut finir avec cette citation:

« Tu veux un monde meilleur, plus fraternel, plus juste ? Eh bien commence à le faire : qui t’en empêche ? Fais-le en toi et autour de toi, fais-le avec ceux qui le veulent. Fais-le en petit, et il grandira » – Carl Jung

 

Vous pouvez en savoir plus dans le livre complet, Agir pour un Monde Durable, ainsi que la présentation suivante :

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