[Ce texte reprend des extraits du livre Agir pour un Monde Durable, paru en juin 2022 aux éditions Jouvence. Il a été rédigé par Pascale Fressoz, présidente de AIODD, et Corentin Biteau, vice-président France]

Tout le monde est d’accord pour dire que les pandémies, c’est plutôt problématique. La catastrophe globale du Covid-19 n’a pas affecté que la santé humaine : les différents confinements ont provoqué la perte de nombreux emplois, ce qui a accentué la pauvreté, et donc la faim, dans de nombreux pays. Pour gérer cela, les gouvernements ont des plans d’action très détaillés pour préserver notre santé et relancer l’économie. Très bien, mais ce n’est que la gestion des conséquences, des symptômes. Or, qui agit sur les causes ?

Cette question est étonnamment ignorée : que faisons-nous pour éviter de prochaines pandémies ? Si nous n’y répondons pas, cela revient à en avoir d’autres dans le futur. A revivre 2020, en pire. Alors qu’est-ce qui émerger les pandémies modernes ?

D’après l’IPBES, les experts biodiversité de l’ONU, 75% des nouvelles maladies qui apparaissent aujourd’hui sont des zoonoses, c’est-à-dire qu’elles proviennent des animaux. Le Covid-19 en fait partie, mais aussi le Sida, Ebola ou Zika. Trois facteurs en sont à l’origine.

Facteur numéro 1

Premier facteur, la destruction du milieu de vie des animaux sauvages, qui se retrouvent forcés d’aller vers des zones habitées par des humains… apportant bien malgré eux leurs virus qui se transmettent à l’homme. Le changement d’usage des sols, à savoir la destruction d’habitats naturels pour l’utilisation humaine, est ainsi responsable de plus de 30% des maladies émergentes depuis 1960. L’expansion de l’agriculture, qui recouvre la moitié des terres émergées, est le principal coupable : c’est le premier facteur de déforestation.

On peut pointer du doigt l’huile de palme, en Asie du Sud-Est, qui menace des espèces entières. Ou l’importation de bois exotique. Ou encore le chocolat : la Côte d’Ivoire a perdu 90% de sa surface forestière depuis 1960, largement à cause de la production de cacao.

La première menace, cependant, est celle qui dévaste l’Amazonie, où des feux de forêts ont ému la communauté internationale. Les trois quarts des zones déforestées y sont maintenant utilisées pour élever du bétail, ou faire pousser des céréales qui iront nourrir ce bétail. Une partie de ces céréales et de cette viande sont exportées à l’international, et iront nourrir les bêtes de chez nous : l’Union Européenne est la deuxième importatrice de soja brésilien, très majoritairement pour nourrir nos animaux. Greenpeace estime que pour produire 100 grammes de poulet, 109 grammes de soja sont nécessaires !

En fait, la viande et les produits animaux accaparent plus des trois-quarts des terres agricoles du monde, d’où leur impact sur l’environnement. L’herbe et les pâturages ne pouvant pas satisfaire la demande mondiale, il faut libérer plus d’espace, aux dépends des espèces sauvages : toute augmentation de la demande conduit à la destruction d’habitats naturels. Une équipe de scientifiques est même arrivée à la conclusion que la consommation de viande est la plus importante menace pour la faune et la flore dans le monde. Or, les produits animaux ne produisent que 18% des calories ! Tout simplement car faire pousser des céréales et les donner à manger à des animaux utilise bien plus de terres agricoles qu’en mangeant les céréales nous-mêmes. La moitié des récoltes produites dans le monde sont données au bétail, alors même que près de 800 millions de personnes souffrent de malnutrition !

L’élevage occupe 77% des terres agricoles pour 18% des calories

En fait, sans la consommation de viande et de produits laitiers, l’usage des terres agricoles pourrait diminuer de 75% et quand même nourrir l’humanité — une surface équivalente à l’Union Européenne, la Chine, l’Australie et les Etats-Unis combinés. Restaurer ces terres, par exemple en reboisant, serait une excellente manière de faire revivre la biodiversité, mais également de créer des puits de carbone qui ont un potentiel impressionnant de lutte contre le réchauffement climatique. Attention, il n’est pas nécessairement réaliste de s’attendre à ce que l’élevage disparaisse, surtout pour les élevage extensifs dont de nombreux petits paysans dépendent – mais il s’agit là de productions raisonnées, beaucoup plus durables, qui font partie de la solution, mais qui ne permettent pas de manger de la viande une fois par jour.

Facteur numéro 2

Second facteur, le commerce d’animaux sauvages. Le fameux « wet market » de Wuhan, d’où on a originellement supposé que le coronavirus a émergé (il faudra plusieurs années pour en connaitre la vraie origine), était un endroit typiquement propice à la propagation de maladies. Des animaux sauvages en cages s’y retrouvaient à proximité d’humains, ou d’animaux d’élevage capables de transmettre le virus aux humains. Le commerce légal a quintuplé en 15 ans, et le marché illégal représenterait entre entre 7 et 23 milliards de dollars par an.

Source de l’image: The Guardian

Facteur numéro 3

Troisième facteur, notre proximité avec les animaux d’élevage. Plus particulièrement l’élevage intensif : la distanciation sociale n’y est pas vraiment respectée, ce qui en fait un terrain d’entrainement idéal pour de nouvelles maladies. Inquiétant ? C’est déjà arrivé. De nombreuses grippes sont d’origine porcine ou aviaire : H5N1, grippe A de 2009… et possiblement la grippe espagnole de 1918 qui a fait 20 à 50 millions de morts.

Pire encore : la souche européenne du Covid-19, différente de celle chinoise, provient probablement des élevages intensifs de visons – même s’il s’agit d’admettre que ce point est plus controversé (on ne parle pas ici de l’origine du covid en Chine, mais du vecteur de transmission en la Chine et l’Europe).

D’après une enquête du journal Reporterre, on retrouvait un taux de contamination au coronavirus supérieur à 80% dans certains élevages d’Europe… et les premiers foyers, en Espagne et en Italie, se trouvaient à proximité de ces élevages, qui représentaient un point de passage idéal en animaux et humains. Ceci est à relier au fait que des visons males étaient transférés d’un continent à l’autre, incluant en Chine, pour servir à l’insémination des femelles. La décision des gouvernements face à cela fut d’ordonner l’abattage de tous les visons de ces élevages, qui furent alors enterrés par milliers dans des décharges. Comme le dit Reporterre, « l’existence d’élevages où des millions d’animaux au système respiratoire voisin du nôtre s’entassent dans des conditions sanitaires épouvantables est une bombe à désamorcer d’urgence ».

Heureusement, on a des médicaments pour ça, non ? Eh bien, connaissez-vous l’antibiorésistance ? Il s’agit de la résistance accrue qu’ont les bactéries aux antibiotiques, rendant ces derniers de moins en moins efficaces face aux maladies. Et un terrain d’entrainement fertile pour ces bactéries se trouve dans les élevages intensifs : les animaux y ont un système immunitaire si faible qu’ils sont gavés d’antibiotiques de façon préventive pour ne pas mourir de maladie. 73 % des produits antimicrobiens dans le monde sont destinés aux animaux d’élevage. Malheureusement, comme les animaux vivent dans des enclos surchargés où ils baignent dans leurs excréments, cela permet aux maladies de s’adapter et de développer des formes résistantes à ces médicaments. Le contact avec des humains permet alors une transmission facile à l’homme. L’OMS estime que l’antibiorésistance pourrait tuer 10 millions d’humains tous les ans si rien n’est fait d’ici 2050, alors qu’elle cause déjà 12 500 morts par an en France.

Conditions d’élevage de la majorité des cochons dans le monde : 20% d’entre eux meurent avant l’abattoir. Source

L’origine des pandémies modernes, mais également de la destruction de l’Amazonie, de l’extinction de milliers d’espèces, et de l’inefficacité future de nos antibiotiques, est donc surprenante: il s’agit essentiellement de nos assiettes.

Revenons à notre question initiale: que faisons-nous pour éviter de prochaines pandémies ? Eh bien, pas grand-chose. Le gouvernement français a rejeté en 2021 une proposition de loi visant à faire cesser l’élevage en cage, malgré le fait que 88% des français soient opposés cette pratique. Nous continuons à importer de l’huile de palme, du soja et du cacao déforestés. Et l’interdiction des élevages de visons a été repoussée de 2 ans!

La défense de l’environnement est souvent traitée comme un sujet à part, où on voit la nature comme une chose distante, à protéger mais si on ne le fait pas, ça nous affecte peu. Personne ne traite la pandémie qui a causé plus d’un million de morts et enfermé pendant des mois la majorité de l’Europe comme ce qu’elle est : une crise écologique.

Ignorer la destruction de l’environnement peut se traduire par de longs mois de confinement, des enfants obligés d’aller à l’école avec des masques et la pire crise économique du siècle. Nous adapter via la technologie ne suffit pas : les lits de réanimation et les applications anti-covid limitent les dégâts, mais seront totalement insuffisants face à l’émergence de pandémies plus fréquentes, plus violentes, plus mortelles. Non, il faut réduire notre impact sur la nature. Bien sûr, ceux qui ne cherchent pas à éviter d’autres pandémies et confinements ne se sentiront pas concernés. Mais pour ceux qui ne veulent pas revivre cela, il peut être intéressant de savoir que chacun d’entre nous peut faire quelque chose, en consommant moins de produits animaux. Une autre option est que de viser à faire changer les choses via le travail d’associations qui poussent pour de nouvelles lois et de nouvelles normes.

Pour en savoir plus, l’article suivant permet d’aller plus loin: Le plus grand levier pour réduire notre impact sur la Terre ?

 

Vous pouvez en savoir plus dans le livre complet, Agir pour un Monde Durable.

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