[Ce texte reprend des extraits du livre Agir pour un Monde Durable, paru en juin 2022 aux éditions Jouvence. Il a été rédigé par Pascale Fressoz, présidente de AIODD, et Corentin Biteau, vice-président France]

De l’importance du sens pour soi et pour les autres

Dans notre système actuel, nous sommes poussés à un individualisme qui délite les valeurs communes et à une quête sans fin des plaisirs matériels.

Or, d’après le neurologue Sébastien Bohler dans son second essai, Où est le sens ?, cela perturbe un autre aspect de notre esprit: la recherche de sens. Notre cerveau a besoin de comprendre les règles implicites qui régissent le monde, de comprendre comment les choses interagissent, et quelle action amène à quelle conséquence. La recherche de sens est donc menée dans le but de pouvoir faire des prédictions sur son environnement, pour savoir quoi faire dans ce monde complexe. Mais surtout, elle a mené à la mise en place dans les sociétés d’un socle commun qui permet de déterminer comment des personnes totalement inconnues vont agir : il s’agit des valeurs morales.

Ce besoin de sens est à l’origine des religions, des mythes de création du monde, des rituels ou de l’identité. Il y a quelques siècles, nos ancêtres avaient l’impression de participer à un projet commun qui dépassait le cadre de leur existence. Il est profondément rassurant de penser qu’une entité surnaturelle juste et bienveillante a créé un ordre cosmique dans l’univers, et nous propose une vie après la mort si nous respectons des valeurs morales universelles (que cette entité existe ou non).

Le problème aujourd’hui, c’est que notre besoin de sens n’est plus assouvi. La vision du monde sous un angle matérialiste nous dit que nous ne sommes qu’un tas de protéines, cousin du singe, sur un rocher flottant dans un univers gigantesque et chaotique. Et il est devenu très difficile de comprendre le monde: tout est trop complexe, les gens trop nombreux, les changements trop rapides. C’est le règne de l’incertitude. Dans un monde qui va de plus en plus vite, où la stabilité familiale diminue avec les divorces, où l’emploi à vie se fait rare, où la méfiance envers les politiques et les institutions est généralisée, et où même notre avenir sur terre n’est plus assuré, l’incertitude ne fait qu’augmenter, ainsi que l’angoisse qui va avec. La perspective de ne pas avoir assez d’argent pour terminer les fins de mois, ou de perdre son emploi à tout moment n’aident pas.

Les vecteurs de sens menacés

Les piliers du sens, tels les différentes spiritualités et religions, permettent d’apaiser ce sentiment d’incertitude, en donnant un sentiment d’ordre dans l’univers. Mais ces piliers se sont largement effrités. De nombreux signaux sont au vert pourtant : la technologie nous fournit de quoi satisfaire nos besoins physiques, dans les pays riches en tout cas : nous vivons plus longtemps, avec moins de maladies, connaissons peu la faim, et sommes protégés des intempéries.

Mais le besoin de sens tapi dans notre cerveau est toujours là, et il faudra autre chose que la recherche d’argent ou de possessions matérielles pour remplir ce vide. L’effondrement des valeurs morales communes associées à ces piliers du sens nous empêche de prédire quel comportement l’autre peut adopter, et fait grandir la méfiance. Autrefois, les gens étaient en contact avec quelques centaines de personnes au sein de leurs communautés, en qui ils pouvaient avoir confiance. Aujourd’hui, peu d’entre nous connaissent leurs voisins, ce qui permettrait de renforcer l’ancrage local, source de stabilité.

Un exemple fort est que nous avons tendance à nous comporter différemment si nous sommes conscients des générations qui vivaient avant nous, et qui vivront après nous. Les enfants qui sont conscients des 3 générations qui les ont précédés sont moins vulnérables à l’anxiété et à la dépression, ils ont moins d’absentéisme à l’école et de meilleurs notes, et rebondissent mieux après des évènements difficiles. Savoir que de nombreuses générations avant moi ont agi pour que je sois là, et que mes actions vont contribuer au bien-être des générations qui vont me suivre, voilà qui fournit une motivation irremplaçable.

A l’inverse, se sentir seul dans l’univers retire cette protection psychologique. De plus, face au stress, nous avons bien plus tendance à nous replier sur les récompenses de court terme. L’incertitude conduit ainsi à se replier sur la quête d’argent et de statut social, qui permettent de se grandir. Mais on peut également se tourner vers l’appartenance à une identité commune, ce qui explique la montée des nationalismes, qui donnent une vision du monde où tout semble simple (et rassurant). Bien sûr, c’est souvent aux dépens d’un bouc émissaire. La peur de l’incertitude nous pousse aussi à chercher des explications à tout. D’ailleurs, quoi de mieux que le complotisme pour insérer un sens dans un monde chaotique ? Ainsi, 10% des Français pensent que, contrairement à ce qu’on nous dit, la Terre est plate[1] !

 

Quelles solutions ?

« L’origine de toute joie en ce monde est la quête du bonheur d’autrui. L’origine de toute souffrance en ce monde est la quête de mon propre bonheur » – Shantideva

Le sens sera la clé indispensable du projet futur, il permet d’avoir un but supérieur dans lequel nos actions vont s’inscrire et contribuer à un projet plus grand que nous, à nous impliquer dans la construction du monde, en reconstruisant notre relation au monde. C’est également crucial pour l’ODD 16 : avoir la paix intérieure pour faire la paix avec soi et autour de soi.

Ce sens doit nécessairement donner une valeur à la nature. Nous avons cherché à dépasser notre vulnérabilité face à elle. Mais notre attitude actuelle va bien plus loin et conduit à sa destruction. Détachés d’elle, nous la voyons comme un stock de ressources où nous rejetons nos déchets (pollution, CO2, plastiques). Ce n’est que si nous reformulons un juste équilibre entre la nature et nous-mêmes que nous allons avoir le désir, le besoin de la protéger. Il qui est bien plus motivant de la protéger parce qu’on estime que la vie vaut quelque chose. Et pour ça, il faut nous reconnecter à elle. Organiser des activités, balades, randonnées, qui nous en rapprochent. Apprécier son calme. Faire un potager. Observer de manière prolongée les plantes, les animaux, les paysages. Et inclure tout cela dans l’éducation de nos enfants.

La spiritualité a un rôle fort à jouer, car fournir du sens est précisément sa raison d’être. On peut prendre l’exemple du pape François avec son encyclique Laudato Si qui a donné une importance morale au fait de préserver la planète. Néanmoins, cette approche ne séduira que si elle transcende l’actuelle pratique religieuse… et lui redonne, là aussi, du sens.

Ce sens se retrouve chez de nombreux philosophes, notamment les Grecs, qui ont beaucoup réfléchi à la question. Le bouddhisme, porteur d’une philosophie de vie, peut également apporter certains enseignements. En effet, le Bouddha n’était pas une créature surnaturelle, mais un homme qui cherchait à se libérer de ses attachements, et qui a observé le fonctionnement de son esprit de manière rationnelle, pour en trouver les racines du mal. Mais une de ses découvertes fondamentales est qu’il a observé qu’il ne suffit pas de savoir quelque chose pour que cela déclenche un passage à l’action (ce qui rejoint les découvertes des neurosciences). Tout le monde est d’accord avec des perles de sagesse comme « Aime ton prochain comme toi-même », mais qui arrive à appliquer ça ? Souvent, cela ne reste qu’une idée abstraite dans notre tête. Seule l’expérimentation concrète donne de réels résultats, ce pourquoi il donne des méthodes pratiques pour y arriver (et il nous encourage à vérifier ses propos par nous-mêmes, sans croyance aveugle).

Il nous enseigne que faire du bien aux autres est dans notre intérêt direct, car cela aboutit à un environnement plus apaisé. En plus de la méditation, avoir une vie éthique est fondamental pour ressentir moins de négativité. Et quand on arrive à avoir un esprit en paix, même un peu, on a envie de transmettre cet état aux autres. De là en découle le but de faire en sorte que le plus grand nombre d’êtres puissent être heureux. Cette question semble faire sens. Cette empathie, bien sûr, inclut le monde naturel. Le livre L’Art de Vivre de William Hart décrit plus précisément comment y arriver.

Il est important d’agir sur nos propres déséquilibres, car ce sont eux qui nous conduisent à déséquilibrer le monde.

Pour aller plus loin, ces articles sur le cerveau et la méditation sont complémentaires à celui-ci.

Vous pouvez également en savoir plus dans le livre complet, Agir pour un Monde Durable.

[1] https://www.franceinter.fr/sciences/scott-kelly.

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