[Ce texte reprend des extraits du livre Agir pour un Monde Durable, paru en juin 2022 aux éditions Jouvence. Il a été rédigé par Pascale Fressoz, présidente de AIODD, et Corentin Biteau, vice-président France]

« 90% parfait et partagé avec le monde change toujours plus de vies que 100 % parfait et coincé dans votre tête » – Jon Acuff

 

« Les autres le font, donc c’est bien »

Nous avons des capacités pour l’altruisme profondément enracinées en nous. Mais elles ne sont pas toujours activées quand il le faut. Le pouvoir de la norme sociale fait que nous avons des tendances à reproduire les valeurs et comportements attendus de nous, à faire ce qui est valorisé.

Comme montré dans cet article, c’est quelque chose de normal. Nous avons évolué dans un milieu où être exclu du groupe signifiait la mort, donc se sentir considéré aux yeux des autres est un élément motivateur extrêmement puissant. Le fait de partager les valeurs culturelles du groupe permet à ce dernier d’agir de manière coordonnée et à de larges échelles – bien plus que ce qu’un individu seul peut accomplir.

Bien sur, ce n’est pas absolu, et il y a une certaine marge de manœuvre – mais éviter de dire des choses dévalorisées par le groupe est une tendance qui résonne en nous très fortement. Nous sommes aussi sensible au statut, au fait de vouloir bien paraitre face au regard des autres – que ce soit via la quête de la richesse et de la célébrité, via l’achat de la toute dernière voiture ou des dernières chaussures, ou en agrégeant des likes sur les réseaux sociaux.

Le problème est que cela rend plus difficile le fait de parler des sujets considérés comme difficiles ou tabous, ceux qui vont à l’encontre de la norme social. Ainsi, pour les sujets comme le climat ou la perte de biodiversité, il peut être intimidant d’en parler en public. La potentielle baisse de statut social associée au fait d’en parler est perçue par notre cerveau comme étant une plus grande menace que les conséquences terribles de la crise écologique, plus distantes dans le temps et dans l’espace.

En revanche, cela marche dans les deux sens: les autres peuvent également être influencés par ce que nous faisons. Ce qui est impactant sur plusieurs plans…

Le pouvoir de l’exemple

Supposons que vous vous trouviez dans une salle d’attente. En face de vous, deux autres personnes attendent aussi. Soudain, vous voyez une fumée sombre qui commence à apparaître sous la porte. S’agit-il d’un incendie ? Vous regardez les deux autres personnes. Elles voient la fumée mais ne bronchent pas. Allez-vous sortir de la pièce pour donner l’alerte ? Les sujets soumis à cette expérience sont allés sonner l’alerte dans seulement… 10% des cas. Lorsque le sujet était seul dans la pièce, il en est sorti pour prévenir dans 75% des cas [1].

Dans une situation incertaine, notre première réaction sera de regarder ce que font les autres. Nous allons souvent copier leur comportement – après tout, s’ils sont nombreux à faire quelque chose, ils doivent avoir une bonne raison. Mais les autres ne sont pas davantage certains de leur attitude que vous – eux aussi regardent autour d’eux pour jauger la réaction des autres. Comme ils n’agissent pas directement, on confond cette incertitude avec une décision consciente de ne rien faire. Donc on ne fait rien non plus. C’est ce qu’on appelle « l’effet spectateur » (bystander apathy). Quand on est seul, on est directement responsable et on se sent concerné : on a tendance à agir. Impossible de se dire « quelqu’un d’autre va le faire ». Mais quand on est en groupe, et que la responsabilité est diffusée sur toute la foule qui nous entoure, il est tentant de se reporter sur les autres.

Ce phénomène explique partiellement pourquoi certains problèmes graves ne suscitent aucune réaction. Si je vois que les personnes autour de moi ne font rien au sujet de remarques racistes ou sexistes, et ne semblent pas lutter contre la faim dans le monde ou la pauvreté… c’est qu’il doit bien y avoir une raison. Si c’était si grave, ils agiraient, non ? Et pour les enjeux de grande taille, tels les ODD, il semble impossible de pouvoir les résoudre si on est seul – et comme on a l’impression d’être seul, on reste passif.

En revanche, ce qui nous intéresse, c’est que dès qu’une personne se met à intervenir, des personnes passives qui avaient peur de se retrouver seules contre le groupe sont prêtes à agir elles aussi. Souvent elles attendent juste que quelqu’un donne l’exemple avant de s’y mettre.

Changement de la norme sociale

Si certains comportements positifs, tels que l’altruisme, la bienveillance, la compassion ou le partage sont ainsi bien vus dans la société, agir dans leur sens active notre « système de récompense ». Pour que ces valeurs puissent nous aider, la parole a ses limites : c’est donner l’exemple qui fonctionne. L’avantage de cette approche, par rapport à l’alarmisme habituellement utilisé, est que nous n’agirions non pas par contrainte, mais parce que nous serions motivés pour faire ce qui est socialement valorisé.

A un certain stade, avec suffisamment de personnes qui s’y mettent, cela permet de créer un début de masse critique, que l’on retrouve au sein de «communautés engagées». Cette « adéquation » entre valeurs et choix de vie envoie des signaux positifs et un sentiment d’avant-gardisme sur des questions sociétales, et agir de manière plus vertueuse est aussi gratifiant. Les valeurs morales peuvent alors changer dans une direction moins individualiste.

Des initiatives comme Ma Petite Planète visent à donner un cadre dans lequel mettre cela en pratique.

Changer ce qui nous entoure pour nous changer

Enfin, on peut ajouter que notre environnement influence très largement nos actions – plus que nos croyances[5]. Résister dans une société structurée autour des tentations est difficile (n’oubliez pas, le cerveau cherche à économiser l’énergie). Il est illusoire de s’attendre à ce que tout le monde prenne la bonne décision malgré ce qui nous entoure. Peu importe que l’inactivité tue 3,2 millions de personnes par an, si tout est structuré autour d’un mode de vie sédentaire qui nous pousse vers la voiture plus que le vélo, et qu’on nous encourage à nous gaver de sucreries à coup de publicités, on va aller au plus simple la plupart du temps. Sortir du statu quo demande une certaine volonté et réflexion que nous pouvons difficilement mettre partout dans les 5 000 décisions que nous prenons quotidiennement.

Réduire l’effort nécessaire à la prise de bonnes décisions sera donc bénéfique à la société, en structurant l’environnement autour des bons comportements. Par exemple, en mettant les options les plus responsables comme le choix par défaut.

 

Enfin, si l’exemple des autres a un tel pouvoir sur nous, une bonne manière de s’améliorer soi-même consiste tout simplement à s’entourer de personnes motivées qui ont un mode de vie inspirant. On a alors envie d’apprendre d’elles, de faire comme elle, cela nous permet d’étendre le champ des choses que l’on estime possibles. Elles peuvent nous pousser à nous dépasser, bien plus que si l’on restait seul. Rejoindre une association sur un sujet important permet parfois de tomber sur de telles personnes – dont on peut apprendre dans le but de s’améliorer.

Des méthodes pratiques pour lancer l’action collective sont détaillées plus avant dans cet article.

Vous pouvez également en savoir plus dans le livre complet, Agir pour un Monde Durable.

 

[1] Latane, B., & Darley, J. Bystander « Apathy », 1969

[2] L’Art de la Méditation, Matthieu Ricard

[3] Le petit livre de la méditation en pleine conscience, Elisabeth Couzon

[4] https://www.oxfordmindfulness.org/the-lancet-mindfulness-based-therapy-could-offer-an-alternative-to-antidepressants-for-preventing-depression-relapse/

[5] New Scientist, Outsmart your brain, 27 Juillet 2019

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